REPORTAGE. "Je veux travailler dans la finance et je me retrouve dans un café" : quand les stages de seconde se transforment en "arnaque", loin des souhaits des élèves

Ce stage d'observation a été mis en place pour occuper les élèves de seconde en juin quand leurs professeurs s'occupent du bac. Mais certains se retrouvent loin de leurs aspirations, faute de réseau ou d’opportunités.
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Plus de 550 000 élèves de seconde sont en stage depuis le 16 juin. Une deuxième édition après des chiffres encourageants en 2024, l'année où il a été mis en place, puisque 85 à 98% des élèves de seconde avaient finalement trouvé un stage, d'après les chiffres du ministère de l'Éducation. On ne connaît pas encore ceux de 2025. Mais derrière ces bons résultats, se cachent parfois des stages acceptés par défaut. Franceinfo a rencontré ces jeunes lycéens qui n'ont pas trouvé de stage dans le domaine qui les intéressait.
Aurore rencontrée à Drancy, en Seine-Saint-Denis a 15 ans et se retrouve en stage dans un supermarché. Pourtant elle veut être avocate plus tard. Mais après une douzaine de candidatures dans des cabinets d'avocat, "soit je suis partie directement leur demander. Ils m'ont dit qu'ils ne prenaient pas de stagiaires ou qu'ils en avaient déjà trop, soit c'était trop loin pour moi", raconte-t-elle.
D'autant que les parents d'Aurore n'ont pas forcément de réseau dans le domaine juridique, son père travaille dans le BTP et sa mère est infirmière. Aurore voulait découvrir la relation entre un avocat et ses clients, mais, finalement, elle était à la caisse de ce supermarché. "C'est de l'arnaque, dit-elle. C'est plutôt épuisant parce que je déballe les cartons, je range, j'ai fait des baguettes, des croissants et j'ai fait la caisse aujourd'hui..."
Le gérant du supermarché explique être contacté par les professeurs qui veulent savoir s'il a des places pour prendre des stagiaires. "On leur dit oui, rapporte-t-il. 70%, ce sont des stagiaires qui n'ont pas trouvé de stage dans leur domaine. Ça nous fait un peu d'aide et on essaye de les former dans tous les postes : caissière, préparateur de commande, mise en rayon, relation client. Ils découvrent le monde du métier. Parce que l'école c'est bien, mais il faut découvrir aussi un peu le monde réel."
Changement de décor, cette fois en plein Paris. Héloïse avait trouvé un stage dans une compagnie d'assurances. Mais la veille de son premier jour, il est annulé. Elle se rabat dans l'urgence sur un stage dans un café, ce qui l'intéresse beaucoup moins.
"Si on n’a pas quelqu'un qui est déjà placé ou juste un contact pour nous aider, c'est vraiment compliqué."
Héloïse, élève en secondesur franceinfo
"J'ai des amis qui ont trouvé dans des mairies du coin, alors qu'ils veulent devenir écrivain, témoigne Héloïse. Et moi je veux faire de la finance et je me retrouve dans un petit café. Et il y en a qui n'ont même pas de stage, car ils n'ont pas de réseau."
Pour éviter ces stages par défaut, des structures aident les jeunes sans réseau à en trouver en lien avec leur projet professionnel. Comme l'association Exponentiel 3V en Seine-Saint-Denis qui a aidé 35 élèves de seconde en deux ans. Asma Seghouane est la présidente de l'association accompagne des jeunes du département dans l'orientation et l'insertion professionnelle.
"Parfois, dit-elle, j'avais même des enseignants qui revenaient vers moi pour me dire 'Asma mayday, j'ai un gamin dont les parents parlent à peine français, donc du coup, ils n'ont pas de réseau'. Ils viennent d'arriver en France où il y a, en plus de la barrière sociale, la barrière de la langue. Généralement, sur ces profils-là, on reçoit vraiment les demandes à la dernière minute et on essaye de faire jouer le réseau."
Mais parfois ça ne suffit pas, certains jeunes souffrent de discrimination dès cette première expérience professionnelle.
"Beaucoup de personnes n'ont pas été acceptées parce qu'on s'est arrêté à leur CV."
Asma Seghouane, présidente de Exponentiel 3Vsur franceinfo
"On avait des gamins qui mettaient leur adresse. Moi, j'ai eu des recruteurs qui me disaient 'non, pas des gamins de cité', déplore Asma. Ils avaient peur que les émeutes qu'il y a eues dans les cités se retrouvent au pied de l'immeuble de la société. On a eu vraiment ce genre de réflexion, donc bon, quand il y a un problème sur l'adresse parce que c'est un quartier prioritaire de la ville, bah on met juste la ville, etc. Comme on s'adapte à la demande de l'entreprise, on adapte aussi son offre qui est notre CV."
Une situation qui varie en fonction des territoires. C'est souvent plus difficile de trouver un stage dans des territoires ruraux. Exemple dans le Beaujolais avec Gérard Heinz, proviseur d'un lycée à Belleville-en-Beaujolais et membre du principal syndicat national des proviseurs, le SNPDEN-UNSA. "Sur le Beaujolais, dit-il, nous avons trois lycées, ce qui représente environ 1 600 élèves de seconde qui arrivent simultanément sur un marché d'entreprise qui forcément ne peut pas absorber la totalité des élèves qui cherchent des stages."
Résultat : au début cette période de stage, 40% de ses élèves n'avaient rien trouvé. "Les élèves qui n'ont pas trouvé de stage restent chez eux et sont en vacances bien plus tôt, explique-t-il. Nous n'avons pas non plus les ressources humaines à un moment donné pour faire un suivi individualisé et vérifier quelle est leur situation ou leur proposer par exemple des activités pédagogiques, puisque de toute façon, les enseignants étant mobilisés sur d'autres tâches et responsabilités, nous ne pouvons pas nous en occuper de quelque façon que ce soit."
D'autant que cette année, cette période de stage des secondes vient percuter d'autres stages, ceux pour les bacs professionnels, qui eux sont essentiels pour l'obtention du diplôme.
Francetvinfo